30/08/2012

Le deuxième sexe, par Simone de Beauvoir (1949)

Un essai existentialiste et féministe, paru en 1949.
Voici quelques passages intéressants:
“Ainsi, la passivité qui caractérisera essentiellement la femme
«féminine» est un trait qui se développe en elle dès ses premières
années. Mais il est faux de prétendre que c'est là une donnée
biologique; en vérité, c'est un destin qui lui est imposé par ses
éducateurs et par la société. L'immense chance du garçon, c'est que sa
manière d'exister pour autrui l'encourage à se poser pour soi. Il fait
l'apprentissage de son existence comme libre mouvement vers le
monde; il rivalise de dureté et d'indépendance avec les autres garçons,
il méprise les filles. Grimpant aux arbres, se battant avec des
camarades, les affrontant dans des jeux violents, il saisit son corps
comme un moyen de dominer la nature et un instrument de combat; il
s'enorgueillit de ses muscles comme de son sexe; à travers jeux,
sports, luttes, défis, épreuves, il trouve un emploi équilibré de ses
forces; en même temps, il connaît les leçons sévères de la violence; il
apprend à encaisser les coups, à mépriser la douleur, à refuser les
larmes du premier âge. Il entreprend, il invente, il ose.”
(p.30)

“On verra, plus loin, combien les rapports de la mère à la fille sont
complexes: la fille est pour la mère à la fois son double et une autre, à
la fois la mère la chérit impérieusement et elle lui est hostile; elle
impose à l'enfant sa propre destinée: c'est une manière de revendiquer
orgueilleusement sa féminité, et une manière aussi de s'en venger.”
(p.32)

“Comme l'amoureuse, la mère s'enchante de se sentir nécessaire; elle
est justifiée par les exigences auxquelles elle répond; mais ce qui fait
la difficulté et la grandeur et l'amour maternel, c'est qu'il n'implique
pas de réciprocité; la femme n'a pas en face d'elle un homme, un
héros, un demi- dieu, mais une petite conscience balbutiante, noyée
dans un corps fragile et contingent; l'enfant ne détient aucune valeur, il
ne peut en conférer aucune; en face de lui la femme demeure seule;
elle n'attend aucune récompense en échange de ses dons, c'est à sa
propre liberté de les justifier. Cette générosité mérite les louanges que
les hommes inlassablement lui décernent; mais la mystification
commence quand la religion de la Maternité proclame que toute mère
est exemplaire. Car le dévouement maternel peut être vécu dans une
parfaite authenticité; mais, en fait, c'est rarement le cas.
Ordinairement, la maternité est un étrange compromis de narcissisme,
d'altruisme, de rêve, de sincérité, de mauvaise foi, de dévouement, de
cynisme. Le grand danger que nos moeurs font courir à l'enfant, c'est
que la mère à qui on le confie pieds et poings liés est presque toujours
une femme insatisfaite: sexuellement elle est frigide ou inassouvie;
socialement elle se sent inférieure à l'homme; elle n'a pas de prise sur
le monde ni sur l'avenir; elle cherchera à compenser à travers l'enfant
toutes ces frustrations; quand on a compris à quel point la situation
actuelle de la femme lui rend difficile son plein épanouissement,
combien de désirs, de révoltes, de prétentions, de revendications
l'habitent sourdement, on s'effraie que des enfants sans défense lui
soient abandonnés. Comme au temps où tour à tour elle dorlotait et
torturait ses poupées, ses conduites sont symboliques: mais ces
symboles deviennent pour l'enfant une âpre réalité. Une mère qui
fouette son enfant ne bat pas seulement l'enfant, en un sens elle ne le
bat pas du tout: elle se venge d'un homme, du monde, ou d'elle-même;”
(p.376-377)


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